• Le berceau des impurs (David Ruiz Martin)

    Le berceau des impurs (David Ruiz Martin)

     Résumé 

     
    « Dévastée par le décès de sa sœur, Joana et son mari partent quelques jours dans leur maison de vacances, au pied du lac Léman.
    Pour tenter de se ressourcer. Trouver un nouvel élan à leur vie. À leur couple.
    Mais là-bas, bientôt, des secrets volent en éclats. Le climat devient instable et Cameron, écrivain au succès modeste, délaisse sa femme pour son roman.
    Alors, seule dans ces grands espaces, Joana s’adonne à la peinture, sa passion, jusqu’à rencontrer un jeune homme énigmatique, attirant mais instable, avec qui elle entame un jeu de séduction dangereux...
    ... tandis que le mari sombre peu à peu dans ses délires littéraires.
    Car Cameron est psychiquement fragile et bientôt...
    ... il commence à entendre des voix.
    »
     

     Ma chronique

     

       « ... à jamais à nous... »

     

    Qu'est-ce que la folie ? Un mot comme un autre qui décrit vaguement ou trop précisément un instant T dans la vie d'une personne. Un moment de fou ? Il est fou celui-là ! Elle ne devrait pas faire cela, parce que ce n'est pas normal ! Mais qu'est-ce qui est normal en somme si ce n'est la vision des autres ? Levez la main pour ceux que j'ai déjà perdu... Bien, continuons un peu plus loin et fouillons un peu dans mes anciens cours qui ne datent pas d'hier ! Le terme de folie n'est que l'expression d'un mal-être, une frustration (ou plusieurs) de l'âme et cela intervient n'importe où, n'importe quand ET sur n'importe qui. Nul n'est à l'abri du fameux coup de folie, ces moments où l'esprit se désolidarise du corps et le fameux trou noir peut apparaitre. Court ou long, ce qui est appelée "folie" n'en a que le nom de ceux qui pensent être sain d'esprit. Mais si malgré tout la personne s'en rendait compte ? Et si quelque chose vibrait en nous pour nous montrer que deux voies sont possibles : le virtuel et la réalité. Et si au final nous vivions tous dans un monde qui ne nous appartenait pas vraiment ? Nous pouvons être troublés, nous pouvons imaginer des choses, avoir besoin d'aide, ne pas en vouloir, ne pas se rendre compte, se poser des milliers de questions. Nous pouvons faire tout cela et même bien plus encore. Où se trouve la frontière entre le réel et l'imaginaire ? Certains troubles sont classifiés, mis en boite dans de jolies petites boules de couleur pour soigner, arrêter la prolifération de la "maladie", atténuer les maux également. Est-ce que nous ne sombrons pas dans la folie avant ou après se poser ses questions ? Est-ce que les hallucinations ne sont pas juste le reflet d'une douleur intense, comme la perte d'un être cher ? Et si au final tout ou rien n'était lié pour se rendre compte que certains sont faits pour être ensemble ? L'esprit humain et tout ce qui y touche est complexe et le récit l'est tout autant.


    Je remercie l'auteur pour m'avoir offert son livre. J'avais déjà eu l'occasion de le lire et si j'ai accepté le numérique, alors que j'en lis peu et uniquement à de rares exceptions, c'est simplement parce que je savais que j'allais aimer. Et cela s'est confirmé. Pardon, ou si peu, d'avoir écrit un paragraphe avant, mais pour comprendre l'histoire de Joana et Cameron il faut avoir un soupçon de mots et des questions à se poser. Ô bien entendu, loin de moi de vous donner un cours complet sur la psychologie humaine, ses dérives et autres, juste quelques pistes afin de vous ouvrir un peu plus à ce que la folie est capable de faire faire, même à un saint. Alors imaginez quelqu'un qui se retrouve déjà avec un ou une autre dans la tête... Dire que quelqu’un est fou, ce n'est pas lui rendre service. Les contextes sont tous différents, il peut y avoir n'importe quel phénomène qui vous propulse dans votre imaginaire et causer des dommages allant jusqu'à l'irréparable. Joana vient de perdre sa "petite" sœur. Toutes deux adultes, elles étaient plus que des sœurs, des confidentes, quasiment inséparables, partageant tout ce qu'elles pouvaient. Le décès brutal de Camille dans des circonstances étranges a mis tout le monde dans le chaos. Joana n'arrive pas à s'en remettre et sa santé défaille, aussi bien physique que mental. Quant à Cameron il a du mal à remonter la pente, mais c'est différent. Et puis son beau-père ne l'aime pas depuis le début et cela ne change pas malgré les épreuves qu'ils traversent tous. Joana est peintre et expose parfois, Cameron est auteur, reconnu. Pourtant cela ne suffit pas, pas le rythme de leur vie, mais celle de beau-papa qui trouve Cameron dérangé dans ses écrits. Les mots semblent peser lourds dans la balance, pas d'acceptation uniquement du jugement. Alors quand le père supérieur décide d'envoyer sa fille restante dans leur villa afin qu'elle se ressource et que son mari d'écrivaillon soit à ses petits soins pour redonner le souffle de leur couple, les questions fusent aussi bien pour Cameron que pour nous.


    Qui sait quoi ? Qui est vraiment le maître de son destin ? Qui pense comme moi que la violence n'est pas que physique et que le mental est plus durement atteint dans ce cas ? Les secrets rongent le couple depuis trop longtemps. Je ne pourrais pas dire que le plus gros secret est facile à trouver, parce qu'il y en a plusieurs. Plus nous avançons dans le récit et plus nous comprenons l’incompréhension. Le mal-être des personnages et pas uniquement de ce couple. Le poison infecte les veines, le corps, les pensées. Les mots, les idées reçues, les volontés de bien faire, l'envie, le primate en nous qui se dévoile. Chaque acte est décrypté sans pour autant nous guider sur la bonne voie. Qu'est-ce qui est vrai ? Dans le sens, que vivent réellement les personnages ? Le chagrin dévastateur de Joana, les pensées honteuses de Cameron, la bienveillance étouffante de Salomon, les secrets enfouis de Solal, la mort de Camille, les paroles acerbes du beau-père... Et ce n'est que le haut de l'iceberg. En creusant plus profondément, chaque protagoniste a de lourdes chaînes qu'ils trainent derrière eux sans savoir comment faire pour avancer vers un avenir plus serein. Trahison, mensonges, les secrets enfouis se dévoilent les uns après les autres. Des erreurs de parcours, du pardon parfois, un couple qui n'en porte que le nom ravagé par la souffrance. Arrivé à la villa, Cameron entend des voix, plus particulièrement une qui le menace, le tenaille, l'emprisonne dans sa tête. Qu'a-t-il vécu pour en arriver à ce point ? Que vit-il chaque jour pour ne pas se rendre compte qu'il dévie un peu plus à chaque minute ? La douleur est si forte que voir celle de l'autre est inenvisageable. Impossible pour l'un ou l'autre personnage composant ce couple défaillant de "voir" vraiment que l'autre est plus bas que terre, que l'aide qui aurait dû arriver reste hors de portée. Nous avons tous des images qui nous viennent à l'esprit, pas forcément sur la manière de tuer quelqu'un, mais de comment se débarrasser d'un nuisible. (OK pas la camisole de force !) Une envie profonde qui nous tenaille de faire du mal à celui ou elle qui nous en fait. Passer à l'acte ? Non, notre conscience morale fait office de barrage, mais si celle-ci prend la fuite ?


    J'ai adoré suivre ce qui arrive à ce couple en perdition, de tenter de comprendre comment ils en sont arrivés à ce point de se haïr/aimer et ce qui  en découle surtout. Il n'y a pas de malsain dans ce que je dis, certains penseront peut-être que je suis timbrée d'avoir aimé les voir s'effondrer, mais ce n'est pas le cas, car qui dis effondrement, dis également réparation d'une manière ou d'une autre. Le combat de chaque instant pour rester debout malgré tout (insultes, coups bas, regards jetés, tentatives d'emprunter une voie qui pourrait convenir mais pas au bon moment). La vie réserve des surprises, des bonnes, des mauvaises et par-delà même des obstacles que parfois l'esprit n'arrive pas à rejeter. L’être humain a des forces, des faiblesses et à force de prendre des coups virtuels ou non, il peut arriver qu'on rencontre un jour un Cameron, une Joana, un Solal ou même un Salomon sans que nous le sachions. Ces quatre protagonistes ont un passé que l'auteur nous dévoile petit à petit. Il nous embarque dans leur monde, dans ce qu'ils ont déjà accompli. Des secrets enfouis profondément, des peurs viscérales de faire du mal, de se faire du mal, de ne plus pouvoir se contrôler. La démence est proche et l'isolement ? Personnellement je suis contre, s'isoler un temps, au début, mais pas aussi longtemps. Les voix apparaissent et c'est comme un petit diable qui saute sur l'épaule pour nous faire croire des choses, parce que c'est le cas. Mettez un être humain dans une pièce sans lumière, sans rien, il va entendre des choses, imaginer des événements, alors qu'il n'y a rien. Sans savoir, sans communication, sans comprendre, l'esprit est en déroute et crée des choses qui sont peut-être vrai, qui sont bien souvent fausses. Une villa en pleine forêt, pas âme qui vive avant de nombreuses minutes en voitures, un lieu enchanteur en plein jour et au soleil, destructeur dès qu'il pleut et la pluie s'invite à leur fuite.


    Beaucoup de flous artistiques sur les personnages au début, même si quelque chose me titillait l'oreille au début et j'ai trouvé ce petit point. Mais ce n'est rien qu'un vague morceau d'âme écorchée sur Cameron qui dévoile son jeu au fil des pages. Il est doué pour écrire, rentre dans son monde occultant tout ce qu'il y a à ses côtés. (Tiens, ne serait-ce pas ce qui arrive réellement dans le "vrai monde" ? Hum, je m'égare.) L'arrivée de Salomon dans l'histoire est logique, ce vieux monsieur qui s'occupe de la villa depuis des années pour le beau-père. Cet homme qui va se montrer d'une patience absolue, parler à demi-mots, comprendre le raisonnement et voir ce que d'autres ne voient pas forcément, parce qu'il est passé par là. Solal qui est jeune, qui laisse un mystère autour de lui, de la façon dont il est là. Vacances ? Travail ? Famille ? Qui est-il vraiment derrière cette façade de jeune homme bien sous tout rapport, un peu trop bien d'ailleurs ? J'ai tiqué sur lui pour des raisons qui me chiffonnaient et au final je n'avais absolument pas imaginé son passé de cette façon. Quant à Joana, cette femme à elle seule arrive à tourmenter ceux qui l'entourent sans le vouloir. Elle veut aimer, être aimé, récupérer son couple, ressentir la vie, avoir moins de chagrin avec la perte de sa sœur, mais par-dessus tout elle VEUT la VÉRITÉ de la bouche de son mari ! Des histoires de personnages qui s'avancent, des fils de destin qui se lient, se soudent, s'étiolent. Les mots semblent être de la trahison, les actes les confirment et pourtant les regards sont parfois les plus proches de la vérité. L'angoisse monte au fur et à mesure que les pages défilent. Les petits gestes du quotidien ne sont plus. Les esprits s'échauffent et le couple en lui-même n'arrive plus à rien. Ressouder deux êtres qui se sont mentis durant des années est mission impossible sans un effort minimum de la part de chacun, si les deux le désirent bien entendu. Certains actes sont répréhensibles et l'auteur m'a fait douter à de nombreuses reprises sur les faits.


    Des faits qui donnent l’impression d'être dans un livre de "vous êtes le héros" (non pas envie pour le coup de choisir la voie sacrée ou non) et en même temps de nous montrer que la réalité n'est pas toujours la meilleure à vivre. Mentir est un choix difficile, parce qu'il faut réussir à tenir le coup durant des années, des mois, des jours. Être tourmenté n'est plus un choix, il faut vivre avec les souffrances psychologiques qui ne nous lâchent pas d'un iota. Difficile pour ma part d'avoir envie de les protéger, car qui sait vraiment qui ils sont tous ? L'auteur m'a fait peur à plusieurs reprises, avec sa manière de décrire les lieux. Nous ressentons cette sensation d'être épiée. Le récit est à plusieurs voix et si nous avons compris que Cameron et Joana sont présents, qui est cette troisième qui sort d'où ? Et lorsque nous constatons d'où elle provient, c'est le choc total ! Comment ne pas s'en rendre compte ? Et puis au final, cette sensation de malaise qui ne s'arrête pas n'était pas forcément et uniquement du peu d'esprit sain qui restait quelque part, au fin fond de cette noirceur. Car le noir les entoure tous autant qu'ils sont. Le chaos prend le pas sur la réalité, à moins que ce ne soit l'inverse. Qu'importe ce que nous croyons, l'auteur nous entraîne dans des esprits martyrisés, impossible pour eux d'être "parfaits", par contre ce qui était mental devient physique. La peur de faire ma est si sourde, si prenante que les gestes se mettent en place et la coupure de l’électricité, vous savez ce petit réseau qui passe entre les neurones, donne un écran noir, un rejet, un oubli. Du travail, cela se ressent énormément dans ce texte. L'auteur s'amuse avec ses personnages, les lecteurs, mais le travail est monstrueux, machiavélique, imposant. En posant ces mots sur mon ressenti, j'en viens encore à me demander qu'elle était la véritable dernière scène de cette histoire passionnante sur la psychologie humaine. Chaque protagoniste crée a eu une vie qu'il n'a pas forcément voulu. Avoir subi autant et l'esprit est fracturé : les résultats qui en découlent sont là, sous nos yeux. Et puis cette fin, celle de la forêt, celle-là même qui resserre des liens trop longtemps détendus. Oh bon sang, c'est grandiose et effrayant à la fois, car si c'était vrai ? Que reste-t-il au final ?


    En conclusion, je pourrais passer encore de longs moments à vous parler de mon ressenti, de ce que les personnages vont vivre. Ce ne sont pas des aventures extraordinaires, elles sont à l'échelle humaine. Avec les ressentis, les pensées, le mal-être, la volonté de s'en sortir sans l’autre ou au contraire de vouloir l'aider à tout prix. Ces pages reflètent les peurs profondes de chacun des protagonistes, la peur de se retrouver dans un filin qui ne vous lâche pas et vous enferme dans un carcan de souffrance. Une douleur diffuse qui se propage tel un poison dans les veines et vous bouffent jusqu'à la moelle. Des esprits torturés par leur vécu, leur passé, leur présent, leur hypothétique avenir (pour ceux qui restent mouahahah). Les choix ne sont pas simples. L'intrigue si simple du départ nous ouvre des perspectives effrayantes sur l'être humain, sur ce qu'il est capable d'endurer et de faire endurer. Ce fut une lecture intense sur un énorme travail de fond. De quoi nous poser des questions sur cette fameuse "folie" que tout le monde redoute ou traite comme un simple maux. Qu'est-ce que la folie si ce n'est une dérive de notre esprit pour un monde différent ? Encore merci pour cette lecture, je ne vais pas l'oublier de sitôt ! 

     

     Extrait choisi :   


    « – On ne se connaît jamais vraiment, Cameron, même passés les pires moments de sa vie, avoua-t-il en le contemplant.
       Les engrenages de son cerveau en ébullition, Cameron ne saisit pas les insinuations du vieil homme à son égard. Ses aveux furent un bien piètre réconfort dans le tourbillon de doutes qu’il traversait, et Cameron s’en voulut de ressentir ça.
       D’un coup sec, Salomon coupa le bout arrière de son cigare et l’alluma. Alors, Cameron comprit que ce cigare était une étape qui appartenait à Salomon. Il détenait lui aussi cette part d’ombre un peu trop lourde pour un seul homme, et avait simplement attendu le bon moment pour s’en délester.
       Salomon tira quelques longues bouffées et, dans ce halo embrumé qui lui tournoyait autour du crâne, il lança :
       – Je t’ai déjà raconté comment mon père avait fini la guerre ?
       – Je ne crois pas.
       – Dans un trou rempli de merde ! lâcha-t-il dans un rire nostalgique. »

     

     

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