• Le dernier festin des vaincus (Estelle Tharreau)

    Le dernier festin des vaincus (Estelle Tharreau)

     Résumé 

     
    « Un soir de réveillon, Naomi Shehaan disparaît de la réserve indienne de Meshkanau.

    Dans une région minée par la corruption, le racisme, la violence et la misère, un jeune flic, Logan Robertson, tente de briser l'omerta qui entoure cette affaire. Il est rejoint par Nathan et Alice qui, en renouant avec leur passé, plongent dans l'enfer de ce dernier jalon avant la toundra.
    Un thriller dur qui éclaire sur les violences intracommunautaires et les traumatismes liés aux pensionnats indiens, dont les femmes sont les premières victimes.
    « Au Canada, une autochtone a dix fois plus de risque de se faire assassiner qu'une autre femme. » »

     

     Ma chronique

     

    Pourquoi une tuerie ? Oui, je me rends compte que ma manière d'indiquer ne me convient plus, ne me ressemble plus, alors je vais faire à ma façon. Donc oui une tuerie dans tous les sens du terme, parce que c'est ce que j'ai ressenti en fermant le livre et j'ai même mis du temps avant de venir poser mes mots sur ces maux. Douleur, tristesse, perte, mort, enfances volées, soumission, déchets, racisme, corruption, misère, alcool, profiteurs... Je pourrais continuer ainsi longtemps avant de mettre à terme à tout ce qui se passe dans ma tête et ce n'était pas beau après le point final. Le récit est douloureux, à ne pas mettre entre toutes les mains c'est certain. L'histoire est poignante, déchirante, ne pouvant pas laisser indemne une part de nous-même qui sommes libres. Libres de respirer, de sortir sans craindre un mauvais geste, libre de ne pas se prendre un mot de trop, libre d'être qui nous sommes. Ce n'est pas le cas de certains peuples qui sont encore de nos jours soumis à des pratiques que je qualifierais de barbare. Les Innus de Meshkanau existent, enfin les Innus d'Essipit. Pointe-Cartier au Canada n'existe pas, Port-Cartier, si, mais qu'importe les lieux fictifs et cela est très bien, nous comprenons que l'auteur s'est inspiré, non pas de faits réels, même si la manière d'aborder les sujets donnent l'impression contraire, mais de vécus déjà existants de part le monde. Le fait d'intégrer dans un pays autre que la France est intéressant. Les phénomènes de société différent, les mentalités également, mais au final, nous sommes tous des êtres humains, pas vrai ?

     


    Le réveillon est là, les gens sont plus alcoolisés qu'un jour normal. Naomi a peur, elle fuit et disparait dans la nuit. Sauf que nous, nous savons qu'elle est morte, que son corps est là, quelque part dans un lac, car nous voyons son regard s'éteindre dès le début. Quand est-il des habitants de cette réserve ? Une disparition comme une autre, une fille perdue probablement. Qui se soucierait d'une indienne qui de toute façon finira alcoolique comme sa mère, ou bien prostituée ? Ce n'est qu'une squaw, rien à faire d'une fugue, car la police décide qu'il ne s'agit que de cela, elle reviendra, ou disparaitra à jamais. Qu'importe, qui va s'en soucier si en plus sa mère ne la recherche pas ? Vous êtes encore là ? Bien, parce que ce n'est que le haut de l'iceberg, une histoire tragique à vomir sur la police qui n'en a rien à faire des gens qui ne sont pas blancs. Attention, les métis n'ont qu'à bien se tenir également, ils ne devraient pas être en vie, l'état leur refile de quoi subvenir à leurs besoins d'alcool. Le reste ? Qu'à cela ne tienne, ils finiront tous et ainsi il se pourrait que cette fichue réserve disparaisse définitivement ! Excusez-moi du peu, je pense que je vais aller vomir, mais l'auteure appuie sur ce qui fait mal, sur ce qui existe déjà de part le monde, à savoir : "tu es différent ? Tu ne sert à rien ! Tu ne devrais pas exister ! Ta culture est celle d'un sauvage ! Et à quoi bon t'éduquer parce que de toute façon tu seras toujours un esclave ?" Ses mots sont tranchants, ôtant les œillères, grattant une surface qui est tout sauf lisse pour montrer que le système est pourri jusqu'à la moelle ! Et vous savez quoi ? Tout le monde s'en fou, ou presque. Ce n'est pas que la disparition de Naomi Shehaan qui est placée entre ses lignes, il s'agit de tout un peuple opprimé depuis des années, des décennies même et que si personne ne bouge, leur culture disparaitra totalement. Lorsqu'un enfant du village d'à côté décide de les aider à sa façon, il est mal vu, se retrouvant au cœur de plusieurs conflits qui ne datent pas d'hier. De lourds secrets, beaucoup de violence appelant la violence, l'enquête semble bien se retrouver dans un foutu panier de crabes.

    Logan Robertson est flic dans cette bourgade. Son chef lui refile le bébé de trouver qui a bien pu tuer Naomi, mais s'en en faire de trop. Il ne faudrait tout de même pas que l'argent des contribuables soit trop utilisé... Sauf que Logan a beau faire le naïf, il est intelligent. Il sait quand se taire et surtout il déteste la façon dont le système mis en place est intégré. Il tente de faire la lumière en sous-main, pas moyen de faire autrement lorsque tous décident que de toute manière l'affaire sera vite étouffée. Mais comment faire quand la corruption est totale et que vous vous retrouvez seul dans ce bain de boue ? Naomi, 16 ans est comme ces autres adolescentes de la réserve, rêveuse jusqu'à ce que quelque chose se produise. Les secrets sont lourds, affligeants, dérangeants. Il ne s'agit plus d'une personne, mais d'un groupe d'individus qui ne sait pas comment s'en sortir avec ce qui les entoure. Rien ne sera simple dans ce récit, il ne faut pas s'attendre à un happy end pour tout le monde. Les personnages sont brisés pour la plupart, difficilement gérables, un peu caricaturés peut-être, je ne saurais le dire vraiment. Peter, l'oncle de Naomi m'a paru le plus brisé émotionnellement, physiquement. La violence qu'il contient depuis si longtemps, depuis ces instants volés l'a rendu amer, solitaire et tente d'être meilleur, peut-être, malgré tout ce qu'il a subit, malgré tout ce qu'il a pu faire également. C'est un personnage complexe qui ne peut pas être détesté et ne peux pas être adoré. Il est sur la tangente, son côté sombre est si fort que même le peu de lumière semble s'éteindre en s'approchant. Nathan, le futur avocat dont le père veut absolument faire construire une scierie en plein cœur de la réserve (allez, main-d’œuvre gratuite pour ainsi dire....) Nathan  est contre. Il essaie de faire bouger les choses, de manière virulentes certes, mais au moins il a le mérite de ne rien lâcher. Même après des coups durs qu'il va vivre, même après avoir compris beaucoup d'éléments dans la vie d'Alice, cette jeune femme métis qui ne veut absolument pas revenir là-bas. Mettre les pieds dans le plat, il sait y faire et continue malgré tout, même si sa vie est en danger. Une véritable tête brûlée qui ne comprend pas toujours. Les mois passent, pour autant il n'a pas oublié, mais il ne sait plus comment faire. Faire un reset, une mise à zéro, oublier le tout. Mais est-ce seulement possible de tout oublier ? Comment faire quand cette jeune femme porte un nom de famille qui risque de chambouler les vieux esprits de la réserve et par-dessus tout la montrer du doigt alors que les erreurs ne sont pas de son fait ?

    La violence est présente du début à la fin. La boucle est bouclée, nous savons au point final ce qui s'est réellement produit... L'affaire a servi à faire parler. L'auteure nous emmène dans le passé de ses hommes et femmes, lorsqu'ils ont été arrachés à leurs parents pour être envoyés en pensionnats religieux pour certains, dans des familles à d'autres. Lequel des deux était le mieux ? Je ferme les yeux et évite de répondre. Il faut lire pour comprendre que les douleurs différent, mais qu'elles ont creusé leur propre tombe. Les traces sont devenus indélébiles, pour autant les traces psychologiques sont bien là. Les viols physiques sont quotidiens, les viols psychiques sont insoutenables. Et les soi-disant bien pensants qui ne font que s'en mettre plein les poches pour rester polie devraient être pendus haut et court ! Oui, je suis radicale et au vu de ce qui se produit dans ce récit, il ne faut pas s'embêter à comprendre : le racisme est tellement ancré en eux que pour faire la part des choses... Non, c'est impossible. Les traumatismes sont toujours présents même après autant d'années, comment oublier ? Un enfant est une éponge, il absorbe ce qu'on lui donne et si cela se fait sous le biais d'horreurs, de litanie, de violence, comment imaginer qu'un enfant devienne un adulte sain d'esprit ? C'est inadmissible d'imaginer que cela arrive encore et pas uniquement dans ces lieux. Une partie est consacrée aux femmes dans le livre. Cette partie nous montre tous les aspects qu'elles ont pu subir en outrage, ce qu'elles ressentent encore et ce qu'elle pense de leur avenir. Il est sombre, incertain et parfois la mort est préférable à la vie qui aurait dû leur donner l'éclat. Ces femmes qui font des choix également pour aider les autres, pour se punir elles-mêmes de ce qu'elles ont déjà fait. Certaines s'en sortent, d'autres non. Avancer n'est pas donné à tout le monde, avancer avec la perte d'un enfant par abandon, par disparition, par fugue est devenu si général que chaque situation est extrême.

    L'oubli. Oublier, ne plus penser, faire comme si, mettre de côté, ne pas voir, baisser le regard... Tant que l'opinion publique s'en fiche, tant que la scierie peut être construite, tant que la population se tait et que l'argent arrive toujours, tant qu'il y aura des Hommes qui se cachent derrière leur masque de générosité alors que ce sont des monstres... La disparition puis le cadavre de Naomi fait tache, il faut vite clôturer le tout. Tout le monde ou presque est mouillé, l'argent, les amitiés fausses, les mots, le service trois pièces qui ne tient pas en place, les pervers, les pensées plus que dérangeantes de ceux qui décident de vie ou de mort, de se servir entre les cuisses de jeunes femmes pour satisfaire un besoin qui est tout sauf naturel... Je passe les détails comme l'auteure a su bien le faire, en ne donnant que quelques éléments qui  nous laissent facilement dans l'imaginaire d'une violence physique qui ne sait pas s'arrêter. Viols, vols, jeunesses perdues, mots insultants, mots déroutants, insalubrités... Comment continuer à vouloir vivre quand on a une pareille épée de Damoclès au-dessus de la tête ? Nous entrons dans un monde peu connu, mais le racisme n'a pas changé d'un iota et tout ce qui va avec. La différence fait peur, pourtant l'intelligence est crée de cette différence, par les échanges, par l'apprentissage, par l'entraide. Je suis trop idéaliste probablement et si cette histoire pouvait réveiller des consciences... Marie fait partie de ces personnes qui se flagellent tout en aidant les autres. Le passé ne dit pas être oublié, il doit être travaillé afin de faire avancer les esprits dans le bon sens. Marie a fait des erreurs, donnée sa confiance trop vite, vécue ou plutôt survécu comme elle a pu et à offert à ses enfants ce qu'elle a pu : disparaitre de leur vie. Est-ce que c'était à faire ? Nulle ne réécrira l'histoire, le pardon est toujours difficile et s'il trouve le chemin, il sera forcément pavé d'embûches.

     
    En conclusion, un récit difficile dans une communauté qui ne cherchait qu'un peu d'aide et non une "extermination". C'est ainsi que durant les guerres mondiales des peuples entiers ont été réduit... Ici c'est la vie de tous les jours pour des hommes, des femmes, des enfants qui ont eu la "malchance" de ne pas être nés du "bon côté" de la barrière. Un sujet délicat, des mots durs qui s'enrobe pas une vérité de papier glacé. Estelle tire à balle réelle dans le tas, usant de moyens pour choquer et faire évoluer. Le quotidien de jeunes femmes, d'hommes de tout horizon qui doivent survivre dans un monde inadapté. Une jeune fille qui disparait sans que cela ne choque. Un flic qui n'est pas corrompu qui doit se cacher pour tenter d'assembler toutes les pièces d'un puzzle géant ressemblant bien trop à un crabe. Un étudiant en droit qui est contre le système va se retrouver dans une posture désagréable avec une jeune femme qui n'a aucune envie de retrouver ce qui  reste de sa famille. (Et quelle famille au final...) Cette réserve qui n'est sur aucune carte est épouvantable. La recherche pour cette histoire n'a pas dû être simple au vu des éléments (pensionnats, confrontation, vécus...) Des faits qui ont du prendre vie autrement et qui font mal, très mal. Ce n'est plus un affolement du cœur, mais un arrêt complet à la lecture de certains passages. J'ai été remué par les événements qui sortent de l'ombre les uns après les autres. C'est noir, glauque, sordide et si proche d'une réalité qui fait peur. Merci à Joël pour cette lecture !

    J'allais oublier, l'histoire de ce caribou apporte un plus à l'histoire et en cherchant un peu, nous pouvons trouver son symbole en plus de ce que l'auteure nous offre entre ces lignes.

     

     Extrait choisi :   

     

    « De mauvais souvenirs... Pour tout dire, un seul revenait à l'esprit de la jeune femme ; celui de son dernier jour dans sa famille au milieu du taudis qu'elle occupait dans cette réserve paumée. Son patrimoine familial et culturel se résumait à quelques images et bribes de phrases. Dans l'alternance stroboscopique de la noirceur des tunnels du métro et de la lumière aveuglante des stations, les arrêts défilaient sous ses yeux tandis que son esprit ne parvenait pas à s'évader vers son enfance et Meshkanau. Elle sortit de la rame. Elle s'engagea dans la rue sur laquelle la nuit tombait, rendant luisant le bitume détrempé. Elle monta des escaliers et ouvrit une porte, celle de son petit appartement sans âme, sans souvenirs. Banal, impersonnel, tout comme sa vie. À force de vouloir s'effacer, elle devenait transparente. »

     

    Le dernier festin des vaincus (Estelle Tharreau)

     

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